mercredi 22 mars 2017

Quelques nouvelles réjouissantes des rhums Ferroni

La passion des spiritueux et des cocktails a conduit Guillaume Ferroni et David Roussier (de la distillerie Warenghem qui propose notamment les whiskies Armorik) à créer Bariana, du nom du premier livre Français consacré aux recettes de cocktails. Cette connexion Aubagne-Lannion s'est mise en tête d'expérimenter dans tous les sens afin de présenter des embouteillages d'autres contrées ou d'autres temps.

Les rhums Ferroni se succèdent et ne se ressemblent pas : bruts de fûts des Caraïbes, rhums agricoles de l'île Maurice élevés en Dame-Jeanne, Guildive (ancien nom du rhum) fabriquée comme en 1800, etc... On note aussi qu'ils ont souvent un lien avec leur région d'origine. Par exemple, le spiced rum au miel et au safran de Provence ou l'assemblage affiné en fût de Rasteau. Tous ces rhums passent par le chai du château des Creissauds à Aubagne qui héberge également deux alambics anciens des 18è et 19è siècles.


2017 ne dérogera pas à la règle, l'inspiration n'est pas prête de s'épuiser puisque quatre nouveaux projets devraient voir le jour :

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Un rhum Cubain de 6 ans élevé en fût de Bourbon a été transféré en fût de Rye (whisky de seigle) où il est encore en cours d'affinage "sous tôle".

J'ai posé quelques questions à Guillaume à ce sujet :

Le rhum cubain de 6 ans a t-il vieilli sur place ? 

Le vieillissement en fût de Rye se fait en Provence (environ 2 ans), le premier vieillissement était cubain.

Qu'attends tu d'un fût de Rye ? 

D'une part, la patte caractéristique de bois américain : douceur, arômes vanillés et torréfiés, et aussi bien sûr les arômes en provenance du rye (épices, herbes sèches, foin coupé). Surtout que ce sont des "first fill" (premier remplissage) donc le Rye est encore très présent aromatiquement.

(c) Bariana
Les fûts utilisés sont ceux du Roof Rye ?

(Issu de la collaboration des deux compères de Bariana, le Roof Rye est un whisky de seigle distillé et vieilli à Lannion. Il subit une deuxième maturation en fût de chêne américain neuf, en Provence)

Oui tout à fait, c'est pour cette raison que l'impact du rye est important. Mes fûts sont sur place et sont donc très "frais" lorsque je les remplis de rhum.


Peux tu nous parler du vieillissement sous tôle ?

Oui c'est une méthode classique pratiquée pour les whiskeys américains, où la plupart des chais sont en tôle, pour favoriser l'amplitude thermique du chai. En Provence cet effet est décuplé, surtout car j'utilise des micro-chais.
L'amplitude thermique est phénoménale (extrêmes annuels de -4° à 58° !). Et chaque jour l'amplitude est de l'ordre de 20° à 30°. La conséquence c'est que l'eau de vie dans le fût se rétracte et se dilate quotidiennement, elle s'aromatise et se bonifie de façon très intense.

J'imagine que l'équation sud de la France + tôle va régaler les anges...

Oui, en Provence il fait souvent bien plus chaud qu'aux Antilles. Et surtout c'est beaucoup plus sec. La part des Anges se situe entre 12 et 14% par an (selon les années).

(c) Bariana
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Second projet en préparation, un "tasty overproof" (overproof qui a du goût :) à environ 73% et affiné en fût de vin cuit de Provence.

Quelle est la provenance de l'overproof ?

C'est un assemblage très majoritairement à base de rhum Jamaïcain, il y a également du pur jus et de l'agricole de l'Ile Maurice et de Martinique.

Chaudrons pour vin cuit de Provence (c) La cave à Caro
Pour quelles propriétés as-tu choisi ce vin cuit de Provence ?

En fait, ça fait pas mal de temps que j'en cherche, que je démarche les viticulteurs, et que je patiente pour en avoir. Le vin cuit est un produit très ancien et typique de Provence, mais qui a quasiment disparu.
Par ailleurs il est au bord de l'illégalité, car bien qu'ancestral, il a été oublié dans la règlementation Européenne. Si bien qu'officiellement on ne pourrait même pas l’appeler "vin". Les rares viticulteurs qui en produisent encore l'appellent néanmoins vin cuit, ce qui est son nom historique.
Rares sont les personnes qui savent ce que c'est (même ceux qui en consomment), car précisément ce n'est pas du vin cuit ! C'est un vin, réalisé à partir de jus de raisin qu'on aura réduit par la chauffe pour concentrer les sucres. En fait c'est un vin de jus de raisin cuit.
La conséquence, c'est que le jus est saturé en sucre, et que les levures n'arrivent pas à l'épuiser totalement (comme pour le Sauternes par exemple).
Mais ici la chauffe du jus de raisin, outre la concentration en sucre, va également apporter de délicieux arômes compotés, voire très légèrement caramélisés, qui se marient superbement avec l'élevage en barrique.

Le fut de vin cuit apporte donc ses notes fruitées, suaves et compotées au rhum. Et bien sûr la barrique et le chêne continuent leur travail de bonification.

Combien de temps as-tu prévu de l'affiner ?

Relativement peu de temps. J'ai fait l'assemblage des rhums à mon goût personnel, et je l'aime beaucoup !
Aussi, je ne souhaite pas que le bois vienne prendre trop d'influence. C'est surtout une finition, pour "attraper" quelques notes gourmandes du vin cuit de Provence. Je n'en ai fait que deux fûts, je testerai peut-être un vieillissement prolongé sur l'un des fûts.

Un rhum overproof comme celui-ci a t-il besoin de plus de temps pour s'imprégner des arômes du fût ?

Ce n'est effectivement pas le degré optimum en terme d'extraction aromatique. Mais l'extraction est tout de même très bonne.

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Une troisième édition du rhum blanc La Dame Jeanne est également prévue, élaborée uniquement à partir de canne rouge.


Peux tu parler de la provenance du rhum de la prochaine Dame Jeanne ?

C'est un assemblage de rhums pur jus/agricoles élaborés à base de canne rouge. La provenance des rhums est Ile Maurice et Guadeloupe, respectivement Chamarel et Longueteau.

Combien de temps de repos as tu prévu pour cette nouvelle cuvée ? 

Pas très longtemps, je pense interrompre au bout de 4 à 5 mois. Mais c'est toujours en cours actuellement.

Est-ce que tu procèdes à la réduction par la même occasion ? 

Je pratique trois réductions, une à la mise en Dame-Jeanne, une lors du repos en Dame-Jeanne, et un dernier réglage pour parvenir au degré ciblé pour la mise ne bouteille (57%). 

Quelles sont les caractéristiques de la canne rouge ? 

Chacun à son opinion sur le sujet :) Pour ma part je trouve qu'elle est plus fruitée et plus ronde. Elle est moins marquée par les notes de bagasse, moins verte, moins herbacée. Mais c'est un avis très personnel !

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Pour finir, Guillaume s'est de nouveau amusé avec ses alambics. Le résultat est un rhum agricole double distillation. La première distillation se fait en colonne sous les tropiques et la deuxième en pot-still à Aubagne. Cela fait une coupe des arômes très nette et ciselée. C'est une nouvelle série de rhums blancs qui se dénomme "Les ciseaux".

(c) Bariana
Au sujet des ciseaux, peux tu révéler la provenance du rhum blanc ?

Disons que je me suis servi d'un rhum agricole français qui ne provient pas d'une ile. Je vous laisse réviser votre géographie !

Quel type de coupe souhaites tu effectuer ? La deuxième distillation (ou plutôt troisième ;) rend-elle le rhum encore plus rond ?

(c) Bariana
En fait c'est bien une deuxième distillation, mais comme la première était en colonne, c'est effectivement un distillat qui aromatiquement s'apparente à une triple distillation au niveau structure.
Et effectivement le rhum est bien plus rond mais c'est surtout la conséquence du choix de mes coupes. Puisque je pratique la coupe en sélectionnant précisément ces arômes.

En redistillant en pot still, on décompose tout les arômes qui composent l'agricole.
On perd une partie de la puissance aromatique (redistiller ça épure), et j'ai pratiqué mes coupes en écartant les notes trop fraiches (pommes vertes, solvant), et en queue les notes plus lourdes et herbacées.
Ca me pose néanmoins un problème pour le futur. Le distillat que j'ai écarté par mes coupes est toujours du bon rhum... et pour le moment je ne sais pas quoi en faire :)


Peux tu nous parler de ton alambic ?

J'utilise un alambic de 1800 (celui avec lequel je distille la Guildive).
Il a une charge d'environ 100 litres, et il est chauffé à feu nu.
C'est un alambic en provenance de Lorraine qui était utilisé pour distiller des eaux de vie de fruit (mirabelle, kirsch) et de l'absinthe.
(c) Bariana

Voici quelques sorties à surveiller ! Peut-être pourrons-nous goûter à l'une de ces petites gourmandises au Rhum Fest fin Avril...?

dimanche 5 mars 2017

Le rhum agricole de Madère - Aguardente de cana sacarina

Ceci est un appel aux superettes Portugaises et autres Churrasqueiras d'île de France. J'aime les pasteis de nata, les poulets churrasco, les beignets, le leitao, la bacalhau a bràs etc etc... Mais impossible de trouver une seule bouteille d'aguardente de cana da Madeira !

Malgré le fleurissement des étagères de rhums dans toutes les caves de l'hexagone et l'arrivée de rhums de tous les horizons, le rhum agricole de Madère reste extrêmement rare en France. Il est presque exclusivement consommé sur l'archipel (territoire autonome depuis 1974 mais tout de même rattaché au Portugal, et membre de l'UE depuis 1986), mais il se pourrait bien que cela change...

Revenons d'abord sur les origines de ce breuvage.




Avant le rhum, le sucre

Le premier moulin à canne à sucre (Engenho) a été recensé en 1452. C'était un moulin à eau, comme beaucoup de ceux qui l'ont suivi, car le relief et les cours d'eau de l'île se prêtaient particulièrement bien à cette technologie. L'activité sucrière a connu très vite une croissance importante : on recensait au moins 14 moulins à eau en 1496 et au moins 34 à la fin du XVIè siècle. La concurrence de la betterave au XVIIIè siècle a porté un sérieux coup à la filière avant que la science n'entre en jeu à la fin de ce même siècle en introduisant la machine à vapeur plus performante, puis au cours du XIXè siècle en améliorant la qualité, la résistance et les rendements de la canne à sucre.

L'aguardente (eau-de-vie) fut dans un premier temps marginale, la culture de la canne étant presque uniquement consacrée au sucre. La mention d'un aguardenteiro, faiseur d’eau-de-vie, apparait pour la première fois dans les archives en 1649. On pense cependant que la distillation de mélasse existait sur l'île bien avant cela. La première référence à une distillerie remonte à 1667 avec la trace d'une vente : le couvent de Santa Clara a vendu un alambic en cuivre au marchand Manuel da Fonseca.

(c) Daniel Rocha
Plus tard, au XVIIIè siècle, l'aguardente a été beaucoup utilisée pour fortifier le vin de Madère (les vins fortifiés reçoivent une portion d'eau-de-vie au moment de la fermentation). Mais cela ne s'est pas fait sans heurts. En effet, à l'époque, on utilisait des eaux-de-vie de vin Portugais ou encore du Cognac. La concurrence de l'aguardente était donc plutôt mal venue pour les distillateurs et négociants traditionnels. Le Cognac était cher, mais de bien meilleure qualité que l'aguardente, on a donc essayé de monter en qualité pour le concurrencer.

A cet effet on a importé des alambics de Cognac avec des aides de l'Etat au début du XIXè siècle. La colonne à distiller est arrivée dans la foulée, ce qui a permis de produire de plus grandes quantités. Du point de vue des volumes tout au moins, Madère était désormais capable de rivaliser avec la France. De plus, les producteurs locaux d'eau-de-vie ont défendu leur production en vantant la qualité et la salubrité de l’alcool de colonne. Un autre des arguments était que les eaux-de-vie de France s’abimaient pendant le transport et étaient très réduites donc plus chères au prix de l'alcool. Il était donc plus économique d’utiliser l'aguardente locale. La partie fut gagnée en 1822 lorsqu'ils ont obtenu l'interdiction de l'importation d'alcools étrangers pour la fortification du vin.

(c) Daniel Rocha
Cela a rapidement fonctionné, la production et les ventes de vin ont augmenté. Mais les anglais, principaux négociants de spiritueux et acheteurs de vin de Madère étaient en position de demander une contrepartie, d'autant que la contrebande d'alcools de France continuait à arriver malgré tout sur l'île. Double manque à gagner pour eux. L'importation d'alcools étrangers a finalement été de nouveau autorisée mais cependant limitée.

Lors de ce XIXè siècle, l'aguardente de canne a progressivement remplacé l'eau-de-vie de vin traditionnelle malgré la réticence des producteurs de cette dernière. Cette transition a été très conflictuelle : on a déploré des sabotages, des conflits sur les brevets de techniques de distillation, des procès en contrefaçon etc. Dans le même temps, la Poncha (un cocktail à base d'aguardente de canne, de miel de canne et de jus de fruits toujours très en vogue) est devenue de plus en plus à la mode.

L'industrie périphérique à la distillation se développe aussi (chaudronnerie etc). Au milieu du XIXè siècle, on comptait 13 engenhos / distilleries qui produisaient 7 à 8000 tonneaux par an.

(c) Daniel Rocha
A l'époque, c'est un dénommé William Hinton qui domine le secteur de la distillation de mélasse. Celle-ci était toujours préférée à celle du pur jus, réservé à la production du sucre en priorité. A la fin du siècle, il réussit à imposer des règles strictes que quasiment lui seul peut suivre, malgré la cinquantaine d’usines sucrières existant sur l’ile.

Le gouvernement a poussé la production de canne à la fin du XIXè siècle et favorisé l’écoulement de la totalité des alcools mélasse à prix fixé pour éviter l’importation de rhums étrangers. Mais le "tout canne" dans la fortification et la fin des alambics au profit des colonnes ont fini par baisser la qualité du vin de Madère, jusqu’en 1974 où l'importation de Cognac a de nouveau été largement autorisée.

Au début du XXè siècle, de grandes quantités d'aguardente de canne sont produites, ce qui vaut à Madeire le surnom « d’île de l’eau-de-vie ». Cela pose de graves problèmes sociaux et de santé, suite à une consommation excessive due à une production excédentaire et donc des prix extrêmement bas. En 1911 on a imposé des limites de production et confié le monopole de la distribution à Firewater Madeira.

(c) Daniel Rocha
Ensuite, on a changé de politique plusieurs fois dans un joyeux bazar : moins de champs de canne au profit de la vigne puis autorisation de l'importation de mélasse car plus assez de canne. Puis ce fut la fermeture des distilleries de vin qui conduit à des émeutes. En 1924 on a relevé les limites de production pour ensuite augmenter les taxes en 1926. Cette politique en dents de scie a conduit en 1939 au constat de la fermeture de 39 distilleries (de vin et de canne) sur les 48 actives au début du siècle.

A cette époque, on compte deux fois plus de ventes d'aguardente pour la fortification du vin que pour la consommation d’eau-de-vie en tant que telle.

Depuis la fermeture de l’usine sucrière Hinton en 1986, la culture de la canne est exclusivement consacrée à l'aguardente et au miel de canne. Le rhum agricole de Madère bénéficie d'une IGP (DOP : Denominação de Origem Protegida) depuis février 2011, il est exclusivement fabriqué à partir de pur jus.

Le rhum de Madère

(c) Daniel Rocha
La campagne de coupe et de distillation a lieu de Mars à Mai. Le jus de canne subit une fermentation de 48 heures en moyenne et la distillation est réalisée dans des colonnes "à taille humaine".

La mention "Beneficiado" indique que le rhum a été édulcoré. La transparence est de mise sur ce point, ce qui n'est en revanche pas le cas dans le domaine des indications d'âge.

Comme pour les autres rhums agricoles, la mention "rhum vieux" est obtenue à partir de 3 ans de vieillissement. La part des anges est de 2,7% par an en moyenne dans les hauteurs et peut aller jusqu'à 5,5% par an en bord de mer.

Nous sommes en pleine transition entre les appellations aguardente et rhum. On commence également à faire de plus en plus de vieux, même si l'on conserve beaucoup de blanc pour la poncha. Cette augmentation des mises en vieillissement s'est accentuée depuis le rachat des Engenhos Do Norte par J. Faria & Filhos en 2013. L'Engenho Novo a également relancé le nom de Hinton avec deux embouteillages, un blanc et un vieux de 3 ans aux looks modernes qui ont été présentés dans divers salons internationaux. On peut donc présager une "offensive" probable du rhum de Madère dans les années à venir.
La production en 2016 était de 3.273,2 hectolitres et 4.8313 hectolitres ont été embouteillés.


Les distilleries - Engenhos

A l'heure actuelle on compte 5 distilleries fumantes sur l'île :

- Engenhos do norte, qui produit l'aguardente Branca entre autres, au Nord.
- Engenho Novo qui produit le rhum William Hinton au Sud.
- Engenhos da Calheta au Sud également.
- O reizinho, petit distillateur artisanal de Santa Cruz à l'Est.
- Abel Fernandes, petit distillateur de Machico au Nord-Est.

La Companhia dos Engenhos do Norte remonte à 1927 et a été rachetée par J. Faria & Filhos en 2013.

(c) Virgilio Nobrega
Située à Porto da Cruz, c'est une grande distillerie qui reste cependant artisanale, avec ses machines à vapeur et ses colonnes en cuivre.

(c) Virgilio Nobrega
Elle produit une gamme de rhums assez large :

Lidorum, un rhum blanc léger à 38% plutôt réservé aux cocktails
Seleçao, un rhum blanc à 40% plus polyvalent
Branca Destilação Especial, un rhum blanc à 40 % à déguster.
Branca, un rhum blanc agricole à 50 % qui se rapproche des rhums agricoles que l'on connait bien.
Larana, un rhum blanc à 50 % plus élaboré.
Branca à 40 %  avec un morceau de canne dans la bouteille
970 Reserva, un rhum vieux de 6 ans à 40%
970 Reserva Especial, un rhum vieux de 30 ans à 40%
980, un rhum vieux de 3 ans contenant 10% de rhums plus vieux, à 40%
Quelques rhums vieux millésimés d'âges divers.

(c) Virgilio Nobrega
Dégustons une Aguardente 980, rhum vieux de 3 ans d'âge minimum. Cette eau-de-vie est "Beneficiada", ce qui signifie qu'elle a été sucrée au miel de canne. La liste des ingrédients au dos de la bouteille indique : eau-de-vie de canne, eau, miel de canne, caramel. Au moins on sait ce que l'on boit !

(c) lojamadeirense.com
Au nez, cela démarre par des arômes riches de tabac, de thé, de levure, d'eau-de-vie de noyau. On est presque dans le même registre que les Rhum Rhum PMG Libération du point de vue de la famille aromatique, ce qui n'est déjà pas très courant. C'est également poivré à la manière d'un rhum agricole, la canne ressort justement maintenant pour une phase plus végétale et fraîche. Retour sur un boisé humide, il s'accompagne de miel et d'épices douces pour un nez très gourmand. Cependant, assez vite, ce nez se bloque, comme couvert par une sorte de voile légèrement fumé.
Avec une petite agitation du verre, les arômes se relancent. Le rhum est alors plus fruité, avec de l'ananas, de la cerise, de la pêche jaune et une pointe de pomme verte. Il est aussi ciré, passé à l'encaustique et saupoudré de curry. Le bois humide est toujours là, comme dans un sous-bois exotique, au bord d'un champ de canne.

Décidément, si l'on ne l'agite pas régulièrement, le rhum a une fâcheuse tendance à s'endormir. Il est pourtant très séduisant, sa proximité avec un Libération y étant pour beaucoup. Attention, encore une fois je ne dis pas qu'il joue dans la même cour, seulement qu'il a un lien de parenté avec ses notes de tabac, thé et levure. La cire d'abeille vient renforcer son aspect douillet. Le bois toasté et le pain brioché grillés apportent enfin un peu plus de rigueur.

L'attaque en bouche est très (trop) douce et même aqueuse. Malgré un caramel brûlé et extrêmement salé qui surprend, c'est définitivement trop doux et plat. C'est malgré tout assez savoureux, le tabac-the-levure et la griotte se retrouvent au palais, mais qu'est-ce que ça manque d'intensité !

Après une petite réglisse, la finale est très courte, avec un bois légèrement épicé et du caramel.

Quelle déception ! Le nez était extrêmement prometteur et charmeur bien que l'on voyait le manque de force se profiler. Mais la bouche tombe complètement à plat, elle est aqueuse et trop salée. Sûrement la faute à une édulcoration et à un réduction excessive et surtout trop brutale.


Les Engenhos de Calheta, comme leur nom l'indique, sont situés dans la commune éponyme au sud de l'île. La distillerie dispose également de trois colonnes en cuivre. Elle est née à la fin du XIXè siècle et a survécu aux tempêtes de l'industrie. Elle fait le lien entre histoire et modernité car elle a participé à l'amélioration de la maitrise de la qualité notamment par le développement de la fermentation contrôlée.

(c) Engenhos Da Calheta
La gamme proposée est composée d'un rhum blanc à 50%, d'un Reserva de 6 ans et d'un Velho (vieux) de 15 ans.
(c) Engenhos Da Calheta
L'Engenho Novo da Madeira est sorti de terre dans le Sud de l'île depuis 2006. La distillerie a remis en marche une ancienne colonne en cuivre qui avait cessé de fonctionner depuis 1969. Elle est tournée vers la modernité car après une aguardente blanche à 50%, elle a commercialisé la marque Hinton (un rhum blanc et un vieux de 3 ans) ainsi que de multiples liqueurs, cocktails et bien sûr une poncha.
(c) William Hinton Rum

(c) Celso Olim - EN

Nous allons déguster une aguardente blanche à 50% embouteillée en 2014 :

(c) portugaliawines.co.uk
C'est un nez plein de canne qui nous accueille à la manière des rhums agricoles que l'on connait bien en France. Il y a vraiment beaucoup de canne, elle est très ronde et peu poivrée, avec une petite amertume en fond. Il y a une certaine douceur qui se dégage et qui me fait justement penser au maïs doux. C'est bien un petit côté légume qui semble provenir de la fermentation. Ce nez est très clair, sans agressivité. C'est expressif mais bien réglé, équilibré.
A l'aération le rhum chatouille un peu plus, il est plus épicé mais aussi plus floral. On a à nouveau quelques notes de fermentation, le rhum est moins léger et frais, il est devenu plus confit. Nous sommes maintenant plus sur le sucre de canne que sur le jus frais. On aperçoit aussi plus de paille mais celle-ci n'est jamais rêche, elle est également confite. On se dit que le choix des 50% est essentiel car le rhum ne perd pas en puissance et continue de diffuser ses arômes. Le poivre a aussi pris plus de place et une petite touche métallique finit par transparaitre.


L'attaque en bouche est acide et très piquante, on n'a pas du tout la rondeur escomptée. Le poivre est ici mis en avant de façon démesurée. Les notes de fermentation sont subtiles et intéressantes, on a de la canne et une petite amertume de zeste d'agrume. L'ensemble manque tout de même d'harmonie, on est un peu déçu.

La finale est tout aussi poivrée et acide à la fois. L'alcool est mis à nu et engourdit la langue pendant un bon moment.

Encore un nez prometteur, doux et naturel, et encore une déception en bouche... Mais je ne désespère pas, je vais essayer de goûter prochainement le rhum de la distillerie qui va suivre :


Florentino Izildo de Gouveia Ferreira distille et vend une aguardente blanche à 50% appelée O Reizinho disponible en bouteilles de 70cl ou d'un litre. Je vais essayer de m'en procurer une et d'avoir plus d'informations afin de faire une mise à jour de cet article.

Peu d'informations également au sujet du petit distillateur Abel Fernandes, je lance un appel à mes lecteurs !

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L'aguardente de cana sacarina est presque exclusivement destinée au marché local et sa poncha. Certaines vieilles cuvées bien travaillées et respectueuses du produit de base doivent être trouvables, celle que j'ai pu déguster manque malheureusement de maitrise malgré un potentiel certain. Les témoignages d'amateurs que j'ai pu recueillir au sujet d'autres cuvées vont également dans ce sens.
Le glissement vers l'appellation rhum agricole de Madère devra s'accompagner d'une réelle montée en qualité si les engenhos veulent faire plaisir aux amateurs du monde entier. Sans cela, j'ai peur que le rhum de Madère se colle une étiquette de rhum de seconde zone, ce qui ne rendrait pas justice à son authenticité et à la place que l'île a tenu dans l'histoire de l'eau-de-vie de canne à sucre.